Analyse : Quelle stratégie pour la presse quotidienne sur les réseaux sociaux?

Après avoir dévoilé les comptes Twitter possédant le plus grand nombre de faux followers au sein de la presse francophone belge, nous avons décidé de pousser l'analyse beaucoup plus loin et d'élargir les recherches. Nous vous proposons une analyse complète jamais réalisée auparavant sur l'utilisation des réseaux sociaux par les quotidiens francophones du royaume. Qui suscite le plus de commentaires? Qui a le plus de likes et followers? Qui possède les fans les plus impliqués? Qui produit du contenu spécifique aux réseaux sociaux?

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Une prédominance marquée de Facebook sur Twitter avec une activité forte sur les pages principales des quotidiens, malgré une absence apparente de ligne éditoriale propre aux réseaux sociaux, accompagnée d’une sous-exploitation de ces espaces à des fins d’échanges et d’interactions avec leur audience. C’est ce que révèle l’analyse, menée par SocialKind, de 1.102 publications des sept principaux quotidiens francophones belges sur sept jours. Du 4 au 10 mai 2015, les pages Facebook et comptes Twitter de Sudpresse, La Libre, La DH, Le Soir, L’Avenir, L’Echo et Metro ont été examinés pour évaluer leur positionnement stratégique.

L’accès aux sites d’information a été bouleversé par la place croissante des réseaux sociaux dans les habitudes de consommation des internautes. Confrontés à un déluge d’informations multiformes de sources de natures variées, chacun est contraint de faire le tri, prenant ainsi le contrôle de l’information. Les quotidiens, qui parfois se montraient réticents à l’investissement de ces espaces, semblent aujourd’hui, comme n’importe quelle entreprise, contraints d’être présents sur ces plateformes qui jouent un rôle sans cesse grandissant dans le développement des poids-lourds de l’information sur Internet.

 

Une progression à tâtons pour nombre de quotidiens

S’adressant à une audience géographiquement limitée qu’il convient de fédérer et de fidéliser, les quotidiens envisagent leur stratégie de développement sur les réseaux sociaux dans une perspective de diversification et de ciblage de nouvelles communautés – les jeunes, les femmes, les passionnés de sport, ou encore les hommes d’affaires.

Ils y consacrent des moyens importants, s’organisent pour prendre en compte ces tâches et repensant leur organisation en conséquence, que ce soit en créant des postes spécifiques (comme celui de Community Manager) ou en assignant la responsabilité des réseaux sociaux aux journalistes, qui les utilisent eux-mêmes comme sources d’information. Pour autant, cette mutation engendre des complications – manque de connaissances, de ressources financières et humaines –, et les quotidiens se retrouvent confrontés à la difficulté d’organiser les rédactions pour garantir suffisamment de temps requis par leurs activités sur les réseaux sociaux.

La multiplication des supports devait conduire logiquement à de nouvelles formes d’expression, de participation et de partage de l’information. Or, la logique semble se limiter à celle d’un nouvel espace de diffusion et de circulation des contenus produits pour leur site web. Les quotidiens visent donc avant tout un objectif évident : diffuser leurs articles et drainer du trafic vers leur site, voire la version papier.

On découvre néanmoins d’importantes disparités entre les titres des quotidiens francophones belges dans la manière dont ils s’emparent et s’approprient les réseaux sociaux.

Une non-homogénéité de présence 

En termes d’usage, Facebook est le réseau le plus populaire en Belgique avec 5.800.000 utilisateurs belges contre 1 million sur Twitter (février 2015). L’observation de l’audience totale des différents titres de presse quotidienne toutes pages confondues sur chaque plateforme révèle également une prédominance marquée de Facebook sur Twitter. Les titres d’information y réunissent le plus de membres avec 1.128.416 fans de leurs pages contre 393.471 followers de leurs comptes sur Twitter. Toutefois, la pénétration auprès des utilisateurs belges est supérieure sur le site de microblogging : 39%, contre 19% des membres Facebook.

Par titre, c’est Sudpresse qui fédère la plus large communauté cumulée sur les deux réseaux avec 402.700 fans et followers. Le Soir se place en seconde position du classement des titres les plus populaires au niveau global, suivi de près par L’Avenir

Le classement par plateforme fait apparaître d’importants contrastes entre les différents titres.

Popularité des titres de presse au niveau global (toutes pages confondues) par plateforme

 

 

Avec une plus forte popularité sur Facebook au travers de ses 20 pages, Sudpresse ne se retrouve qu’en 5e position du classement des titres les plus populaires sur Twitter. Au contraire, Le Soir, qui compte 3 pages Facebook, passe de la 4e à la 1ère place sur les deux plateformes respectivement. Leur popularité respective prouve que la duplicité des pages ou comptes n’induit pas automatiquement un plus large public. En effet, Sudpresse fédère bien la plus grosse communauté sur Facebook, mais pas sur Twitter, où Le Soir y rassemble plus de 3,5 plus de membres avec 4 pages contre 10.

Nombre de pages Facebook et comptes Twitter par titre

Certains ont fait le choix d’une approche centralisée. D’autres privilégient une communication régionale et/ou thématique.

Types de pages Facebook et comptes Twitter par titre

Cela dit, bien que rassemblant une plus faible audience comparativement aux autres titres, L’Echo est le seul qui fédère plus de Twittos que de fans sur Facebook. Le Soir et La Libre rassemblent, quant à eux, une communauté de taille presque équivalente sur les deux réseaux.

Part de chaque communauté dans l’audience totale par titre

Les quatre autres quotidiens semblent ainsi encore peu investis sur Twitter, avec une représentativité des Twittos égale ou inférieure à 20% au sein de leur audience cumulée sur les deux plateformes.

 

Une audience engagée sur les pages principales des titres. Bien moindre sur les pages régionales et thématiques

Si le nombre de commentaires varie fortement selon l’actualité durant la période d’observation, on relève des constantes d’activité en fonction du type de pages et comptes.

L’analyse des pages Facebook démontre une activité forte sur la page principale des quotidiens. 71% présentent une activité forte (de 10 à 30 commentaires), 14% une activité moyenne (de 2 à 10 commentaires) et 14% une faible activité (moins de 2 commentaires). Sur les pages régionales et thématiques, 86% des pages se retrouvent dans ce dernier cas de figure (contre 11% une activité moyenne et 1% une activité forte).

Ce sont les contenus publiés par La DH qui suscite le plus de commentaires par publication (26,4), suivi de ceux partagés par Le Soir et L’Avenir (CPP de 23,8 et 23,7 respectivement). Toutefois, ce sont les fans de La Libre qui sont les plus expressifs avec un CPF (commentaires par 1.000 fans) égal à 16,7. Sudpresse est second dans le classement (13,2). Le Soir occupe la troisième place avec un CPF de 10,8. Les fans les plus enclins à liker se retrouvent sur la page de La DH (LPF de 75), devant ceux de La Libre et de Sudpresse (70 et 64 respectivement), qui sont également les plus motivés à partager les contenus de ces deux titres (PPF de 37 et 39 respectivement), devant ceux de L’Avenir (28).

Quelque soit la taille des communautés, les fans les plus engagés se retrouvent sur les pages de La Libre et Sudpresse, qui captent chacun 25% de l’engagement total des fans des pages des quotidiens, avec respectivement 435 et 432 actions par 1.000 fans. L’Avenir prend 18% (310 actions).

Part d’engagement par titre sur Facebook

Pourtant, par publication, c’est L’Echo qui présente l’indice d’engagement par fan (EPFP) le plus élevé, devant Sudpresse (8) et La Libre (6).

 

EPFP par titre

En conclusion, c’est bien cet indice qui révèle l’engagement au vrai sens du terme et qu’il convient, pour chaque acteur du secteur, de maximiser sur le long terme.

 

Peu de production spécifique pour les réseaux sociaux

La multiplication des lieux de diffusion de l’information n’implique pas nécessairement une logique de créativité rédactionnelle des quotidiens – pourtant attendue par leurs audiences –, qui publient de façon récurrente les mêmes contenus sur Facebook et Twitter. Compte tenu qu’ils proviennent en majorité du site web, cela laisse peu de place à l’innovation et à la créativité.

La plupart des quotidiens se contentent de publier régulièrement sur les deux plateformes de simples liens vers les articles fraîchement mis en ligne, avec une simple phrase d’accroche, sans plus-value quelconque. Il apparaît ainsi qu’il y a peu de contenu produit spécifiquement pour les réseaux sociaux qui sont par conséquent essentiellement utilisés pour générer du trafic vers le site, sans stratégie établie de ciblage de communauté et donc de production d’une information différenciée.

L’approche des quotidiens se fait donc davantage dans une logique d’investissement d’espaces additionnels pour diffuser les contenus produits pour le site web que dans une réelle différenciation par la production de contenus exclusifs.

 

Des opportunités indéniables, encore bien trop souvent inexploitées

Cette analyse révèle la difficulté pour les quotidiens à faire face à des plateformes, mais aussi des comportements et des usages en constante évolution. Certains avancent par tâtonnement, jouissant de leur réputation établie pour espérer voir leurs fans augmenter sans action spécifique. D’autres considèrent encore et toujours les réseaux sociaux comme abstraits, superflus, sans comprendre la véritable valeur ajoutée qu’offrent ces plateformes en termes d’interaction et d’échange avec leur lectorat – et non de rentabilité financière immédiate. Les utilisant alors comme moyen de capter l’audience vers des contenus potentiellement « rentables », ils adoptent une vision à court-terme, sans prendre conscience de ce qui importe vraiment sur les réseaux sociaux.

L’objectif devrait pourtant consister à utiliser les plateformes non pas comme des simples espaces de diffusion, mais comme des moyens de fidéliser son lectorat en lui offrant une expérience personnalisée sur chaque plateforme. Il s’agit de produire de l’information propre qui ne se trouve nulle part ailleurs, en jouant sur l’information immédiate et exclusive, mais aussi de tirer véritablement parti des réseaux sociaux pour entretenir la relation avec son audience.

L’enjeu est de construire, nourrir et solidifier les relations avec les membres de ses communautés, ce qui passe par une attention toute particulière portée à leurs réactions sur les contenus partagés et une approche plus humaine, quel que soit le secteur d’activité.

 

Une nécessité de synergie et de l’engagement de tous

Les réseaux sociaux peuvent être une expérience fabuleuse. Encore faut-il se donner les moyens – humains et financiers – pour exploiter pleinement ce qu’ils offrent. Un usage optimal des réseaux sociaux requiert l’engagement de tous, que ce soit des dirigeants, des chefs de rédactions, des équipes digitales et des journalistes. Pour ces derniers, il s’agit d’accepter d’endosser un nouveau rôle : celui d’animateur de communautés.

En accordant une plus grande attention aux utilisateurs et à leurs attentes, ces derniers prendront davantage part à la diffusion de l’information, ce qui permettra inévitablement de générer plus de trafic vers le site web, et donc plus de profits.

 

Méthodologie

Cette étude a été réalisée par Delphine Lang - SocialKind. L’étude de l’engagement et de la qualité des contenus porte sur les publications de la page principale des quotidiens francophones belges entre le 4 et le 10 mai 2015. Les données relatives à la popularité sur Facebook et Twitter des différents titres – y compris leurs pages et comptes régionaux et thématiques – ont, quant à elles, été relevées le 13 mai 2015.

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