Quelle expérience digitale désire le consommateur belge dans un avion?

Pendant de longues années, les moments passés dans la cabine d’un avion ont été synonyme de repos, d’évasion, de déconnection complète du monde. Face à la digitalisation sans cesse grandissante, nombreux étaient les business travellers qui attendaient avec impatience ce si moment particulier de déconnection. Aujourd’hui, cette bulle non digitale n’a plus lieu d’être, les compagnies aériennes et groupes aéronautiques ont développé différentes solutions digitales. Quelles soient “bring your own device” permettant l’accès à du contenu à travers les appareils electroniques personnels des voyageurs ou qu’elles permettent carrément une connectivité à internet semblable à l’expérience au sol.

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Les technologies de connectivité complètes, peinent cependant à devenir la norme au niveau mondial, elles sont trop chères mais surtout encore trop peu performantes au vu de ce coût (80 à 110 Mbps pour tout l’avion). Selon le rapport “Global State of Ingflight Connectivity 2016”, 76% des compagnies non américaines n’ont même pas commencé à installer de solution “Wi-Fi”. Sur le marché américain, bien en avance dans ce domaine, seul 22% des compagnies n’offrent absolument pas de connectivité, alors que 73% ont installé la connectivité sur tous leurs appareils.

En Europe, la connectivité complète n’est pas la norme: les compagnies y sont aussi souvent de plus petites tailles, avec moins de moyens et couvrant principalement des trajets court-courrier et moyen courriers ce qui diminue l’opportunité d’un tel investissement. Ce sont donc les solutions alternatives qui y sont privilégiées en attendant que la technologie soit au juste prix.

Il existe deux grandes familles de solutions digitales alternatives à bord pour les vols de courte durée:

  • Les solutions de “Wireless Inflight Entertainment”, ou divertissement sans-fil à bord de l’avion où le passager accède à du contenu et des fonctionnalités dans l’avion, à travers une application ou simplement son navigateur habituel en mode “avion”. Le contenu est stocké sur un serveur à bord de l’avion qui communique avec internet une fois que l’avion se pose au sol.

  • Les solutions où le passager télécharge du contenu sur ses appareils électroniques avant le vol sur un portail ou une application.

L’objectif principal de ces solutions est d’améliorer l’expérience client des passagers à travers du divertissement tels que des films, jeux ou encore du tchat mais elles permettent aussi potentiellement de créer des nouveaux revenus en cabine à travers la monétisation de la solution ou d’alléger des tâches opérationnelles. Les possibilités offertes particulièrement par le Wireless Inflight Entertainment n’ont de limite que l’imagination. On pourrait imaginer qu’un passager se connecte sur la plateforme avec son téléphone, télécharge du contenu de réalité virtuelle et commence dès l’avion à visiter la ville vers lequel il vole, lui permettant de découvrir une partie du Louvre et d’acheter à l’avance ses tickets pour découvrir le reste.

Si les opportunités sont illimitées, les compagnies aériennes sont également confrontées à des difficultés et obstacles d’implémentation. Le monde du transport aérien est naturellement conservateur: l’introduction d’un serveur émettant du contenu par Wi-Fi (qu’il soit fixé dans l’avion ou portable et retirable à chaque rotation) demande une longue série coûteuse de certifications et de vérification de sécurité. S’ajoute à cela, entre autres: la logistique relative à la solution, le développement des plateformes et l'interfaçage avec les différentes technologies présentes déjà utilisées par la compagnie et dans l’avion.

Ces difficultés, couplées au fait que ces technologies sont toujours jeunes et chères entraînent les compagnies aériennes européennes à être très prudentes et à considérer avec précaution ces investissements. Ryanair, l’un des acteurs majeurs des vols intra-européen en pleine mutation vers une stratégie centrée sur le client allant au-delà du low-cost a déjà réalisé des essais avec le W-IFE en 2015. Le CTO de Ryanair et head du Ryanair Labs déclarait à ce sujet en avril que les solutions digitales de divertissement et de connectivité étaient inscrites à l’agenda de la compagnie, mais seulement au juste prix.

Une fois les opportunités et les difficultés identifiées, une inconnue assez fondamentale préoccupe les compagnies aériennes: Y-a-t’il un vrai besoin pour de telles solutions digitales?

Dans le cadre d’un mémoire Master 2 en ingéniorat commercial à l’ICHEC, nous nous sommes intéressés en partenariat avec Digimedia à ce besoin: Quelle expérience digitale désire le consommateur belge dans en avion? Quelles sont ses habitudes digitales lors d’un vol d’une durée inférieur à deux heures? Est-il prêt à payer pour des services digitaux? Les réponses qui vous sont présentées sont issues d’une enquête en ligne qui a récolté plus de 300 réponses de voyageurs belges.

Afin d’évaluer l’opportunité de telles solutions, il convient de se demander si le consommateur a besoin de services digitaux dans l’avion lors de son vol ou si il n’y a qu’une attente. Est-ce que l’accessibilité à ses services digitaux est fondamentale ou est-ce qu’elle ne représente qu’un bonus appréciable? L’étude: “Lifting the lid on passenger satisfaction” démontre que les services de divertissement et de connectivité ont un très fort impact sur la satisfaction du passager mais un très faible impact sur la non satisfaction. Il ne s’agirait donc pas de besoins “basiques”. Cette vision est renforcée par la pyramide des attentes du passager inspirée de la pyramide de Maslow qui place l’expérience de bord et ses composantes digitales et technologiques tout en haut de la pyramide, c’est à dire comme dernier besoin à combler une fois que tous les autres l’ont été.

Les résultats de notre enquête vont dans ce sens, 7 voyageurs sur 10 déclarent attendre des services digitaux accessibles à bord alors qu’ils ne sont plus que 3 sur 10 à déclarer avoir besoin de ces services. Les voyageurs sont également 70% à déclarer qu’ils attendent la possibilité de se connecter à internet.

Afin de développer une solution digitale pertinente, il est important de comprendre en amont les habitudes digitales des voyageurs. 60 % des répondants ont déclaré être intéressés par le digital et utiliser de nombreux outils et service digitaux, 20% se déclarent neutres par rapport au digital et 20% se déclarent passionnés par le digital. On peut donc en déduire que 80% des passagers se laisseront donc facilement tenter d’essayer de tels services.

L’accessibilité de la solution Wireless Inflight Entertainment ou d’une solution de téléchargement de contenu avant le vol dépend fortement des appareils électroniques que les voyageurs transportent et l’usage que les voyageurs en font. Le tableau suivant présente les proportions des voyageurs qui transportent des appareils électroniques et de leur usage ou non.  

 

Appareil électronique

Passagers qui transportent cet appareil

Passagers qui utilisent cet appareil

Smartphone

>90%

>70%

Ordinateur portable

50%

30%

Tablette

44%

37%

Liseuse électronique

8%

6%

Aucun

2%

11%

 

En s’intéressant aux activités actuelles des passagers dans la cabine de l’avion, les compagnies aériennes sont en mesure de comprendre le comportement des voyageurs et donc d’anticiper le comportement digital des passagers. Ces solutions digitales ne vont pas spécialement à l’encontre des habitudes non digitales mais peuvent permettre d’améliorer l’expérience vécue ou de faciliter des comportements non digitaux. Si une grande partie des passagers aiment dormir, pourquoi ne pas mettre à disposition des séances de méditations ou de la musique douce sur la plateforme pour aider à l’endormissement? Nous avons donc demandé ce que nos lecteurs faisaient habituellement dans un avion.

x%  des passagers...

Déclarent

63.5

Dormir

63

Lire

55

Écouter de la musique

54

Regarder des films ou des séries

30

Parler et rencontrer

19

Planifier leur voyage

17

Jouer

14

Travailler

Pour valider encore plus le potentiel d’une telle solution, il convient de se poser la question: “est-ce que les passagers sont prêts à changer leurs habitudes? 12% des sondés ont déclarés qu’ils l’utiliseraient quoi qu’il arrive, 72% qu’ils essaieraient au moins la plateforme et 17% qu’ils ne modifieraient pas leur habitudes car ils ont déjà tout ce qu’il faut. Il y a donc un fort potentiel, mais la plateforme ou le service développé devra ajouter une vraie plus-value pour convaincre les voyageurs. Plus de  8 personnes sur 10 se disent d’ailleurs prêtes à télécharger une application avant leur vol pour avoir accès aux services digitaux pendant le vol, même si ce nombre doit être confronté à la réalité, il démontre un potentiel.

Le dernier volet de notre enquête concerne le potentiel financier des services digitaux: est-ce que les passagers sont prêts à dépenser de l’argent pour y avoir accès? Comment rentabiliser le service digital?

La réponse est assez catégorique pour les films et séries: presque 90% disent qu’ils ne seraient pas prêt à dépenser à payer pour y accéder. Cependant lorsque l’on demande le montant qu’ils seraient prêts à dépenser pour y accéder, les répondants n’étaient  plus que 65% à répondre 0 euros. 20% sont prêts à payer entre 1 et 4 euros et 15% la somme de 5 euros.

La situation est légèrement différente pour le contenu de lecture digital, 20% des voyageurs se déclarent prêts à payer et 80% non. A la question du montant qu’ils seraient prêts à payer, 68% on répondu 0€, 23% entre 1€ et 3€ et 9% 5 euros. Par rapport aux films, les voyageurs semblent donc plus enclin à payer, mais des montants plus petits.

 

Achèteriez-vous à travers la solution digitale...

Oui

Peut être

de la nourriture et des boissons?

10%

38%

du Duty Free (Parfums, bijoux, montres, etc.)?

10%

30%

des produits liés au voyage (Taxi, hôtels, tickets de musées, etc.)?

16%

45%

Globalement, les résultats de l’enquête démontrent que le comportement actuel des voyages dans la cabine d’un avion reste assez classique et ne nécessite pas de couche digitale supplémentaire sans réel apport en termes d’expérience. Certains voyageurs réclament avant tout une connectivité à internet. Mais il s’agit avant tout d’une attente qui permettrait aux compagnies aériennes de se différencier plus que d’un besoin fondamental. Le digital est donc une opportunité d’élargir les services proposés et d'enrichir l’expérience à bord, tant qu’il n’impose aucunes restrictions aux personnes qui n’en ont pas l’usage.

L’analyse de la problématique de la digitalisation de la cabine de l’avion est passionnante et particulièrement représentative des opportunités et difficultés de la digitalisation en général, avec au cœur de la problématique la compréhension des comportements humains digitaux et non digitaux. Nous vous remercions pour vos réponses à notre enquête qui ont permis cet article et enrichiront le mémoire de fin d’étude lié à cette problématique.

Par Arthur Schretter

 

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